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Bulle Par Ahlam NAZIH
Le 20/05/2024

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La réussite scolaire, un travail pour les parents…

Par Sébastien GOUDEAU - Marie DURU-BELLAT - - | Edition N°:6760 Le 08/05/2024
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Sébastien Goudeau est maître de conférences en psychologie sociale, Université de Poitiers

Marie Duru-Bellat est professeure des universités émérite en sociologie, Centre de recherche sur les inégalités sociales (CRIS), Sciences Po

Parler de réussite scolaire, c’est avant tout parler des élèves, de leur travail, de leurs difficultés, et aussi de leurs projets, de leurs enseignants, de leurs programmes… On néglige souvent le rôle primordial des parents. Pourtant, quel que soit le niveau de leur enfant, dans tous les milieux sociaux, ceux-ci cherchent à les pousser dans leurs parcours scolaires. Dans «L’intelligence, ça s’apprend», publié en avril 2024 chez Université Grenoble Alpes Éditions, Marie Duru-Bellat, professeure émérite en sociologie à Sciences Po, et Sébastien Goudeau, maître de conférences en psychologie sociale à l’Université de Poitiers, décryptent la fabrique actuelle de l’intelligence, la vogue des tests de QI, les dérives de ces mesures et les inégalités qu’elles recouvrent. A cette occasion, ils reviennent sur les liens entre implication parentale et réussite scolaire, comme l’éclaire l’extrait ci-dessous.

Le lien est loin d’être automatique entre «intelligence», réussite et carrière scolaires. Une mobilisation constante des parents (et des jeunes eux-mêmes) est nécessaire, dans un contexte de compétition pour les «meilleures» filières conduisant aux «meilleurs» emplois. Les familles abordent cette compétition avec à la fois des atouts matériels et culturels inégaux, et des ambitions elles-mêmes inégales. Un travail spécifique les attend: aucun enfant n’hérite par osmose d’un capital culturel qui garantirait sa réussite. Les carrières scolaires requièrent, pour se dérouler conformément aux projets, une vigilance constante des parents: un suivi du travail, des comportements d’initiés pour faire des choix adéquats, sans compter, facteur en partie aléatoire mais que certains vont chercher à contrôler, les aléas tenant aux maîtres ou aux établissements fréquentés.
Les parents vont déjà se mobiliser pour aider leur enfant à réussir. Mais si le temps passé à aider son enfant est important dans tous les milieux sociaux, cette aide revêt des modalités différenciées. Alors que dans les familles de milieu populaire, on s’attache à contrôler le travail à faire, non sans difficultés, parfois, à comprendre les attendus souvent implicites de l’école, les parents des milieux favorisés ou des classes moyennes sont souvent, de prime abord, moins directifs.

À l’instar du cas extrême des parents enseignants, ils vont aider l’enfant à centrer son attention, à chercher des informations pertinentes, à auto-évaluer son travail, à justifier ses réponses, à comprendre les raisons de ses succès ou échecs, autant de démarches stimulantes sur le plan cognitif. La réussite scolaire elle-même s’inscrit dans tout un fonctionnement de l’école qui n’est que très imparfaitement méritocratique et tout ne se résume pas à une question de valeur scolaire: les attentes et les stratégies des parents sont capitales et par ailleurs les ressources scolaires ne sont pas toujours de qualité égale; en atteste par exemple le poids des enseignants débutants, en moyenne moins efficaces que leurs collègues plus expérimentés, dans les écoles les plus populaires.

Le rôle des parents est particulièrement patent concernant les élèves étiquetés comme HPI (haut potentiel intellectuel). Car c’est dans ce contexte global de compétition scolaire que certains parents (dotés bien plus souvent de diplômes élevés que l’ensemble de la population) s’efforcent de faire bénéficier leur enfant d’un traitement particulier, permettant d’optimiser son cursus et sa réussite scolaires.

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La réussite scolaire suppose un suivi régulier du travail à la maison (Ph. Privée)

                                                       

Notion de précocité

L’institution scolaire le permet, ayant progressivement intégré la notion de précocité (expression euphémisée de la supériorité intellectuelle). Dans la loi française «Pour l’avenir de l’école» de 2005, il est écrit que des «aménagements appropriés sont prévus au profit des élèves intellectuellement précoces ou manifestant des aptitudes particulières, afin de leur permettre de développer pleinement leurs potentialités» (article L.321-4). Aujourd’hui, certains parents défendent véritablement, non sans moyens matériels car il faut payer pour faire tester son enfant, une «cause» de l’intelligence (selon la formule de Lignier), fondée sur l’usage scolaire du diagnostic psychologique. Il s’agit de fait, grâce à cette ressource présentée comme indiscutable d’un QI élevé, d’une stratégie de distinction, justifiée par le caractère crucial de la réussite scolaire. On défend la nécessité d’une prise en charge spécifique de ces enfants en arguant du fait que ces «surdoués» sont souvent en souffrance, même si en réalité l’immense majorité des élèves ainsi étiquetés connaîtra des scolarités excellentes. Ces observations faites sur une frange très particulière de la population confortent la conclusion selon laquelle la carrière scolaire reflète pour une grande part la mobilisation active des parents, non seulement pour former leur enfant à l’intelligence de l’écolier mais pour optimiser sa prise en charge par l’institution.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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